Interview du mois: La fresque du climat
Ce mois-ci, nous avons rencontré des animateurs professionnels, Marina Protopopoff et Julien Zory, qui aident nos membres à comprendre la science fondamentale du changement climatique et de la biodiversité. Ils nous en ont dit plus sur le mouvement et sur la manière dont il change la façon dont les gens comprennent et interagissent avec les plus grands défis de notre temps.
Qu’est-ce qu’une Fresque ?
<Marina et Julien> La fresque du climat est un atelier interactif et collaboratif qui engage les participants à apprendre et à changer leurs perspectives et, espérons-le, leurs comportements sur les questions liées à l’environnement et au développement durable.
Pour encourager l’action et construire des solutions, il faut d’abord et avant tout bien comprendre le problème !
Cedric Ringenbach, ancien directeur de The Shift Project, a inventé ce concept de jeu de cartes éducatif mettant en lumière les mécanismes du changement climatique en 2015. Trois ans plus tard, l’organisation à but non lucratif a été créée pour diffuser ce jeu sérieux, former des animateurs et élargir l’accès aux connaissances scientifiques.
Au cours de l’atelier, les participants utilisent une approche systémique pour explorer les questions clés à l’aide d’un jeu de cartes expliquant et illustrant les aspects essentiels. Ils jouent en équipe pour dessiner une fresque (une sorte de collage) qui résume le travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). L’animation invite également les participants à prendre du recul et à se concentrer sur leurs propres écosystèmes en partageant leurs réflexions, leurs perceptions, leurs positions et leurs questions. Ensuite, fort de cette nouvelle perspective, le groupe lance des idées pour abandonner le modèle actuel au profit d’alternatives plus durables. Le jeu est ouvert à tous ; il a d’abord été diffusé dans l’enseignement supérieur et les entreprises (comme Suez Environnement, première entreprise à proposer un atelier à chacun de ses 90 000 employés dans le monde).
Parallèlement, plusieurs “ateliers frères” se sont développés pour sensibiliser à d’autres questions environnementales telles que l’érosion de la biodiversité ou la pénurie d’eau, ainsi qu’à des sujets connexes tels que l’économie circulaire ou les technologies de l’information durables. Ils fournissent une éducation de qualité et favorisent l’autonomisation des individus, des organisations et des réseaux actifs afin d’avoir une conversation ouverte, systémique et positive sur les solutions.
Nous pensons que les facteurs de succès des fresques du climat sont doubles :
- d’un point de vue cognitif, ils offrent neutralité et objectivité en présentant des faits scientifiques établis.
- d’un point de vue cognitif, ils offrent une neutralité et une objectivité en présentant des faits scientifiques établis. Ils offrent également des expériences d’apprentissage affectif uniques ; cette pédagogie innovante favorise l’apprentissage actif et s’appuie sur l’intelligence collective pour expliquer et inspirer.
En outre, l’animation permet à la diversité, à l’équité et à l’inclusion d’enrichir l’approche coopérative. Ils permettent aux gens de s’attaquer et de répondre à la nature systémique des défis. Les participants quittent l’atelier en ayant tissé des liens solides les uns avec les autres pour construire des ponts.
Aujourd’hui, un million de personnes à travers le monde ont participé à l’atelier et une communauté plus large accélérera la compréhension des questions climatiques au niveau mondial. Il est essentiel de déclencher aussi rapidement que possible les changements nécessaires pour préserver la vie sur Terre. Un moment passionnant…
Pourquoi êtes-vous devenue animatrice des fresques ?
<Marina> Je n’ai pas pu refuser plus de deux fois l’invitation d’un ami à participer à cet atelier en ligne après une très longue journée pendant le lock-down 😉
À l’époque, j’équipais l’équipe de direction d’une entreprise chimique avec des compétences de mentorat et de leadership autour de l’apprentissage actif, de l’intelligence collective et des jeux. Je faisais également partie de l’équipe verte chargée d’étudier les alternatives en matière de mobilité. L’atelier a résonné comme une tempête dans les montagnes. Vous savez qu’elle arrive et vous pensez que vous êtes suffisamment préparé, mais vous ne vous attendez pas à ce qu’elle vous choque et vous secoue aussi rapidement et furieusement. Bien que j’aie été submergée (et que je me sois parfois sentie littéralement “noyée”) par tant de nouveaux contenus scientifiques, je me suis spontanément inscrite pour devenir animatrice. Une semaine plus tard, l’équipe verte a joué les cobayes et j’ai pu continuer à grandir et à embarquer des équipes très diverses – allant des représentants élus locaux aux équipes exécutives et même aux acteurs clés de la RSE et de la finance durable.
<Julien> Je venais de terminer un MBA en gestion du développement durable, et j’étais déjà membre de l’association The Shifters lorsque j’ai découvert la fresque climatique. J’ai tout de suite aimé la capacité de cet outil à embarquer des publics très divers, à sensibiliser à l’urgence climatique et à déclencher des actions. L’atelier a été non seulement un atout pour sensibiliser les citoyens autour de moi mais aussi une formidable opportunité pour parler du changement climatique dans le monde de l’entreprise. Je me suis inscrite à une formation à la facilitation et deux jours plus tard, j’animais déjà mon premier atelier (avec Marina comme coach !).
En quoi les fresques sont-elles pertinentes pour le secteur de la finance ?
<Marina et Julien> La finance est un des piliers les plus importants et les plus influents de notre économie actuelle. Si l’industrie s’est certainement engagée dans une large réflexion sur l’ESG et la finance durable, il n’y a pas de consensus clair pour aligner tout le monde sur l’Accord de Paris et fixer des objectifs nets zéro d’ici 2050 ; nous manquons d’un dialogue fructueux sur la définition des trajectoires d’émissions adéquates, et nous manquons souvent de processus appropriés pour concevoir une stratégie et une feuille de route qui répondrait aux défis systémiques et engloberait la justice sociale.
<Marina> La formation continue de tous les acteurs de la finance est une priorité pour remettre en question le statu quo et appréhender les transformations systémiques. L’apprentissage significatif et la mise en place de l’intelligence collective sont très puissants pour générer des perspectives différentes. Les méthodes didactiques et authentiques de l’animation soutiennent le débat constructif et une approche plus profonde pour résoudre les défis systémiques en tant qu’équipe inclusive d’acteurs solidaires.
L’industrie financière peut non seulement bénéficier du Forum sur le climat pour jouer un rôle cohérent dans la réduction des émissions de CO2, mais elle peut également appréhender les questions transversales complexes et atténuer les risques – physiques et transitoires – à mesure que notre climat et notre contexte évoluent.
<Julien> Les mécanismes de financement durable s’appuient actuellement sur des mesures ESG au niveau macro et sur des rapports de durabilité des entreprises qui tendent à embellir la réalité. J’ai lu des dizaines de rapports de développement durable qui, à première vue, nous laissent croire que l’atténuation des effets du changement climatique est bien prise en compte par l’entreprise concernée. Mais une fois que l’on en sait plus sur la science qui sous-tend le changement climatique et que l’on comprend les subtilités des rapports sur les inventaires de gaz à effet de serre, on se rend compte que ce qui semblait être de la finance durable ne l’est pas vraiment… La fresque du climat est un outil formidable pour permettre à tous les acteurs du secteur financier de mieux comprendre ces rapports et de distinguer les actions authentiques de l’écoblanchiment.
Quelle est la chose que vous aimeriez voir l’industrie financière faire pour faire avancer l’action sur le climat ?
<Marina> Je crois que “lorsqu’on a un environnement sain, on a une économie saine”. (François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, de la Science et de l’Industrie du Canada, lors des derniers dialogues sur l’agenda).
Une chose qui va dans le sens de cette vision ? Je pourrais dire que, dans l’ensemble, le secteur financier doit encore fournir les moyens de soutenir une transition efficace. Et cela implique de nombreuses actions. Je préfère donc encourager toutes les mesures pertinentes à tous les niveaux pour réorienter le soutien financier vers des alternatives durables, accroître la transparence et l’éducation sur les programmes évolutifs liés aux fossiles, développer des modèles et des mécanismes alternatifs, favoriser des approches plus inclusives et participatives de la gouvernance, soutenir l’agenda politique pour des transformations systémiques, démocratiser davantage l’accès à la finance durable… Enfin, comme Hindou Oumarou Ibrahim, présidente de l’Association des femmes et des peuples autochtones du Tchad (AFPAT), je pense que “nous devons investir dans la nature”. 1% du financement climatique consacré à la nature n’est pas suffisant”.
<Julien> On a parfois l’impression que le secteur financier est devenu si complexe qu’il s’est déconnecté de l’économie “réelle” ! Nous vivons sur une planète aux dimensions limitées, avec une quantité limitée de ressources physiques et une capacité limitée des écosystèmes à faire face à nos activités polluantes. Tous les biens et services créateurs de valeur dépendent d’une manière ou d’une autre des ressources physiques et des flux d’énergie que nous avons aveuglément développés trop loin, bien au-delà des limites de la planète. Le secteur financier doit se reconnecter à ces contraintes physiques afin d’investir dans les alternatives les moins impactantes et de permettre un avenir meilleur. Dans un monde durable, l’obligation fiduciaire ne devrait plus se limiter aux rendements financiers (à court terme), mais intégrer également la capacité de la vie à prospérer sur Terre (à l’avenir).