Interview du mois : SIF
Le Secrétariat d’Etat aux finances internationales représente les intérêts de la Suisse en matière financière, monétaire et fiscale, non seulement vis-à-vis des pays partenaires, mais aussi au sein des instances internationales compétentes. Il s’engage en faveur de bonnes conditions-cadres afin que la Suisse puisse disposer d’une place financière et d’un site économique sûrs, compétitifs et reconnus au niveau mondial. Le Secrétariat d’Etat est également responsable de la mise en œuvre de la politique du Conseil fédéral en matière de marchés financiers.
En novembre, le Conseil fédéral a publié une prise de position sur l’écoblanchiment. Dans cette prise de position, il affirme qu’il faut faire davantage pour s’assurer que les critères nécessaires pour qualifier un produit financier de durable sont bien compris de tous. Nous nous sommes entretenus avec Christoph Baumann, envoyé pour la finance durable au SIF, et Eszter Major, juriste au SIF, pour en savoir plus sur la manière dont le SIF va faire avancer la position sur l’écoblanchiment et sur d’autres initiatives en cours pour améliorer la durabilité de la place financière suisse.
Compte tenu des risques liés à l’écoblanchiment soulignés par le Conseil fédéral, pourriez-vous préciser les préoccupations spécifiques du Conseil concernant le risque d’induire en erreur les clients, les investisseurs et les assurés du secteur financier ?
Pour le Conseil fédéral, il est essentiel que si un produit ou un service financier est présenté comme étant « durable » aux clients, il poursuive également des objectifs de placement durables. L’offre de produits présentés comme durables a augmenté de manière considérable au cours des dernières années. Toutefois, il existe un manque de clarté sur ce qui est un placement durable. A titre d’exemple, pour les placements collectifs, en 2022, les évaluations de la proportion « durable » du marché suisse oscillaient entre 4%[1]et 53%[2] du marché. Ce manque de clarté impacte la crédibilité de ce segment du marché. De plus, certains instituts financiers pourraient présenter leurs produits et services comme étant durables, sans que ces derniers ne remplissent des critères et standards crédibles de durabilité. Ces éléments pourraient conduire à une perte de confiance des clients.
Le Conseil fédéral souligne la nécessité d’une compréhension commune, au sein du secteur financier, des critères généraux permettant de qualifier les objectifs d’investissement de durables. Comment le Conseil envisage-t-il de parvenir à cette compréhension commune ? S’appuiera-t-il sur les travaux réalisés dans d’autres juridictions, comme l’UE par exemple ?
Le 16 décembre 2022, le Conseil fédéral a posé les principes de base qu’il estime nécessaires pour prévenir l’écoblanchiment, en adoptant une position fondée sur l’intentionnalité des placements [3]. Ainsi, un produit ou un service financier étant présenté comme durable devrait être aligné avec un ou plusieurs objectifs de durabilité spécifiés, ou contribuer à la réalisation d’un ou plusieurs objectifs de durabilité spécifiés. Ces objectifs de durabilité devraient être définis par rapport à un cadre de référence largement répandu, tel que par exemple les Objectifs de développement durable. Le Conseil fédéral estime par ailleurs que des éléments supplémentaires sont nécessaires pour créer la crédibilité souhaitée : une description des approches de durabilité appliquées, une reddition de comptes, la vérification par un tiers indépendant, le caractère obligatoire, la possibilité de mettre en œuvre les droits et l’accès, pour les clients, à une voie de droit.
Le Département fédéral des finances (DFF) travaille actuellement sur un projet de réglementation étatique pour mettre en œuvre la position du Conseil fédéral. Il observe avec attention les développements dans la prévention de l’écoblanchiment dans d’autres juridictions. Ainsi, la publication par la Financial Conduct Authority britannique le 28 novembre 2023 de son Policy Statement PS23/16 Sustainability Disclosure Requirements (SDR) and investment labels, de même que l’évaluation du règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers entamée par la Commission européenne en septembre 2023 sont d’intérêt particulier. Le DFF s’attèle à préparer un projet qui concrétise les attentes du Conseil fédéral tout en étant compatible avec les approches appliquées à l’étranger.
L’époque de la poursuite d’objectifs purement financiers est-elle révolue ? Sommes-nous en train de comprendre ce qu’est un investissement à l’épreuve du temps (c’est-à-dire qui tient compte à la fois des objectifs financiers et sociétaux) ? Notre définition actuelle de l’obligation fiduciaire le permet-elle ?
Dans sa position, le Conseil fédéral ne propose pas d’introduire une obligation de poursuivre des objectifs non-financiers. L’investisseur demeure libre de déterminer ses objectifs de placement, ceux-ci pouvant donc rester exclusivement financiers. Le prestataire financier reste également libre d’offrir des produits ou services durables ou non. Toutefois, s’il souhaite poursuivre des objectifs de durabilité, l’investisseur doit disposer de la clarté nécessaire pour se déterminer sur l’opportunité d’investir dans un produit ou service financier présenté comme durable. Le Conseil fédéral a également considéré que la prise en compte des risques ESG entrait dans le cadre des obligations fiduciaires. Il ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si ce devoir pouvait, dans certains cas, s’étendre à la prise en compte de l’impact des placements sur l’environnement et la société.
Dans ce domaine, il y a une évolution générale qui peut être constatée. En 2020 déjà, l’ASB a reconnu l’importance de la prise en compte des facteurs ESG dans le processus de conseil, en publiant un guide à cet effet. En juin 2022, cette thématique a pris en importance, lorsque l’ASB a adopté des directives relatives à l’intégration des préférences ESG et des risques ESG dans le conseil en placement et la gestion de fortune. Les développements dans l’Union européenne ont pris la même direction, avec l’intégration de facteurs de durabilité dans le processus de conseil et de gestion de portefeuille en 2021, dans MIFID 2.
Depuis la publication de la position du Conseil fédéral sur la prévention de l’écoblanchiment, la loi sur le climat et l’innovation a été approuvée en votation populaire le 18 juin 2023. Celle-ci précise que les flux financiers suisses doivent être orientés de manière à les rendre compatibles avec les objectifs climatiques (art. 1, let. c) et que la Confédération doit veiller à ce que la place financière suisse apporte une contribution effective à ces objectifs (art. 9). La législation en vigueur ne prévoit pas d’obligation explicite pour la place financière suisse de tenir compte de l’impact climatique de leurs placements. De plus, la réalisation d’un objectif de durabilité peut être un moyen d’améliorer la performance financière. Il convient par ailleurs de suivre l’évolution internationale en la matière, que ce soient les études mandatées au niveau international (par exemple Freshfields Bruckhaus Deringer, A Legal Framework for Impact, 2021, UN PRI, Generation Foundation et UNEP FI) ou les litiges climatiques.
Le SIF va mettre en place un groupe de travail pour déterminer la meilleure façon de mettre en œuvre la position du Conseil fédéral sur la prévention du blanchiment d’argent. Pouvez-vous préciser les principales considérations et les défis auxquels le groupe de travail s’attend ? Y a-t-il des premières réflexions sur la manière de garantir que la solution choisie soit à la fois contraignante et applicable sur l’ensemble du marché financier ?
Sur mandat du Conseil fédéral, le SFI a mis en place un groupe de travail en décembre 2022. Après avoir évalué les contributions des membres du groupe de travail, le DFF a décidé d’élaborer par voie d’ordonnance un projet de réglementation étatique fondé sur les principes. Il s’agira d’un acte modificateur unique, introduisant un standard minimal dans les ordonnances topiques. Le DFF soumettra un projet destiné à la consultation au Conseil fédéral d’ici fin août 2024 au plus tard. Si secteur financier présente une autorégulation mettant en œuvre efficacement la position du Conseil fédéral, le DFF renoncera à des travaux réglementaires. Même si la voie réglementaire est finalement choisie, les branches financières garderont la possibilité de compléter le cadre légal par des normes d’autorégulation.
Le SIF étudie-t-il actuellement d’autres questions liées à la finance durable, au-delà de l’écoblanchiment ?
Nous restons déterminés à réaliser les domaines d’action 2022-2025 que le Conseil fédéral a publiés l’année dernière, qui comprennent les données sur la durabilité, la transparence, les investissements à impact, ainsi que la collaboration avec les institutions multilatérales pour fixer un prix à la pollution. Les progrès réalisés en matière d’écoblanchiment s’inscrivent dans le cadre de la transparence, tout comme la révision en cours des Swiss Climate Scores, qui fournissent des informations sur l’alignement des produits d’investissement et des mandats sur les objectifs de Paris. En ce qui concerne les données, l’ordonnance du Conseil fédéral sur les informations climatiques obligatoires entrera en vigueur le 1er janvier 2024 pour les grandes entreprises cotées en bourse et les institutions financières (définies comme ayant au moins 500 employés et au moins 20 millions de francs suisses d’actifs totaux ou plus de 40 millions de francs suisses de chiffre d’affaires).
J’ai appris que le SIF dirigeait une délégation “Building Bridges” à la COP28 aux Émirats Arabes Unis, afin de mettre en relation les leaders financiers suisses avec les négociations internationales sur le climat. Qu’espérez-vous réaliser avec cette délégation ?
L’objectif de la délégation “Building Bridges” à la COP28 est de promouvoir les échanges et les nouveaux contacts, d’informer les participants sur les nouveaux développements clés et les initiatives innovantes, en particulier de la part des ONG, et de positionner avec confiance les approches de la Suisse au niveau mondial. De nombreuses idées novatrices et collaborations naissent de conversations informelles. Lors de la COP28, les participants auront plus facilement accès aux décideurs clés. Il s’agit d’organiser des réunions ciblées et stratégiques avec eux et de parler d’initiatives futures concrètes et de progrès mesurables. Je m’attends à ce que la délégation revienne de la COP28 avec l’inspiration nécessaire pour prendre des mesures concrètes en vue d’une action crédible visant à faire progresser les objectifs climatiques et à renforcer la position de la Suisse en tant que plaque tournante mondiale de la finance durable.
[1]: Stüttgen M and Mattmann B, IFZ Sustainable Investments Studie 2022, Lucerne University of Applied Sciences and Arts, 2022
[2]: Swiss Sustainable Finance and University of Zurich, Swiss Sustainable Investment Market Study 2022
[3]: Position of the Federal Council on the prevention of greenwashing in the financial sector (admin.ch)